Nos rencontres permettent d'enrichir notre pratiques et nous laissent des images (son imagerie personnelle) qui nous guident dans nos postures. C'est de cette expérience que je voudrais aujourd'hui vous parler ; cette image qui me reste de la rencontre avec Fanny qui date de 2015, dame en Ehpad qui ne voulait plus sortir de sa chambre. Quand j'ai commencé mon accompagnement, je désirai travailler sur sa relation avec l'extérieur malgré la dégradation de son moral et de son état général (dépression grave, sentiment d'abandon et de persécution). Cet objectif était aussi un souhait de l'institution pour répondre à son sentiment d'isolement. Je n'ai pas su réajuster mon accompagnement à la situation de Fanny, là où elle en était intérieurement. Je me suis enfermé dans mon Désir de lui procurer une vie sociale meilleure et j'ai entamé le travail avec un trop fort Désir de faire. Je voulais créer la lumière au bout d'un tunnel horizontal. Fanny en fin de compte n'en n'était plus là. Elle empruntait un tunnel descendant. Elle était en glissement vers la fin. Et après coup je peux dire que mon accompagnement aurait pu être un accompagnement dans ce tunnel, consciemment. Peut-être qu'une lumière ou l'ombre d'une lumière aurait pu être travaillé ensemble, je ne sais pas. Mais de fait, nous n'utilisions pas le même tunnel moi et Fanny lors de nos rencontres. Dans ma posture je n'étais pas dans un accompagnement de fin de vie. Elle acceptait volontiers nos rencontres qui pouvaient durer de 15 à 45 minutes avec diverses propositions plutôt sensorielles. Et à la cinquième séance ponctuée par cette réponse à ma question rituelle, voulez-vous que je revienne la semaine prochaine, elle m'a répondu avec force « oui mais la semaine prochaine je ne serai plus là ». Là s'arrêta nos rencontres. Les personnes que nous accompagnons nous en apprennent beaucoup sur notre métier. Les rencontres art-thérapie, les patients, sont une richesse infinie. Gratitude.
Alors oui le Désir* fait partie de la dynamique de nos séances. Il induit de rencontrer l'autre dans sa singularité pour que lui-même renoue avec son Désir et que l'on puisse le repérer, son Désir singulier qui fait vie. Mais cela ne se fait pas sans cheminement produit par le patient lui-même. L'épaisseur de l'image (les traces, les plis, replis, …), l'ombre qui porte et qui enfouie, les répétitions qui soutiennent et qui enferment, les variations qui transforment et qui inquiète et la vitesse qui peut surgir pour amener la poésie sont des processus créatifs qui s'installent dans la relation avec l'art-thérapeute. Cette aire de jeu Winnicottienne qui crée de la relation, qui permet au patient d'utiliser sa personnalité toute entière pour faciliter la créativité et prendre du plaisir. Du play (le jeu libre) pour revenir vers le games (le jeu social) si cela est possible.
Laisser-faire pour ne pas être piégé par notre propre Désir de guérir à tout prix ! L'art guérit-t-il ? L'art-thérapie guérit-elle ? Une autre source de réflexion...
* Le désir/Désir: Il y a le désir qui se nomme à partir d'une représentation, d'un objet « j'ai le désir de manger» et il y a le Désir symbolique. Selon Freud, « la production artistique opère une élaboration du fantasme, et transforme en œuvre d'art le désir infantile qui en constitue le noyau. Son activité se substitue à la satisfaction impossible». Le Désir peut être dévorant puisque jamais satisfait mais il est aussi mouvement nous offrant le manque.