La question du jour : que deviennent les productions (créations) des séances en art-thérapie ?
La question est loin d'être anodine et fait toujours débat au sein de notre profession. De mon point de vue il y a une réponse comme ligne de conduite globale tout en m'autorisant d'évaluer ma réponse suivant l'accompagnement entrepris.
Je pars tout d'abord du principe suivant : la production réalisée lors de la séance appartient tout d'abord à son créateur. C'est à lui de décider ce qu'il veut qu'advienne sa production : archivage dans l'atelier, production emportée par ces soins, destruction par mes soins ou par son auteur ou production reprise en séance suivante.
De mon point de vue d'art-thérapeute, je privilégie la production éphémère, c'est à dire que la création obtenue n'est pas le but en soi de l'art-thérapie (contrairement à ce qu'on laisse croire encore trop souvent) mais qu'elle contribue au cheminement intérieur de la personne. Si l'on veut travailler sur la variation il faut faire place à la possibilité du renouveau, du différent par un autre outil artistique ou un autre angle de création. Le risque sinon est de ce cantonner aux répétitions sclérosantes.
Ce que je m'interdis absolument c'est toute exploitation des œuvres à but d'exposition ; je n'affiche pas au cabinet d’œuvres des accompagnements sauf demande express du créateur. Je réfute également toute marchandisation éventuelle de l’œuvre produite en séance. Nous ne sommes pas dans une production artistique !
Un psychiatre n'expose pas les conversations avec son patient en dehors de toute étude d'analyse de cas sous anonymat ! Pour nous, cette éthique est fondamentale pour préserver la confidentialité et la préservation d'un espace libre entre la personne et l'art-thérapeute.
Ces points dures peuvent être revus dans certaines circonstances précises et dans certains lieux. C'est uniquement dans le cas où la production demande à être vu pour soutenir le cheminement de mieux-être de la personne.
Je pense ici notamment à la dimension (re)narcissisation et trace (cf le post « le présent n'a pas d'âge »). En Ehpad il me semble important que les œuvres en atelier aient une certaine reconnaissance de l'autre (entre résidents, dans l'institution ou envers la famille).
Les outils photo, vidéo, théâtre, clown, danse, marionnette, … peuvent aboutir à des mises en scènes pour contribuer à une mise en JE. Mais ceci ne doit point être un objectif final suprême ni une demande institutionnelle obligatoire. C'est un atout de ces médiums, pas un impératif ! De plus le JE de scène (en dehors de la photo et vidéo qui laisse l'empreinte) a un côté éphémère (il n'est pas question ici d'une tournée internationale sur tous les zénith du monde!) qui ne doit pas être un point terminal au processus thérapeutique.
Vous me direz oui mais l'art brut* existe, des musées dédiés à cet art existent (Lausanne étant l'un des plus remarquable). Dans certaines institutions, notamment en psychiatrie des œuvres sont exposées régulièrement, Alors disons que chacun est libre d'exposer ces œuvres en tant qu'artiste. Les personnes en art brut, exprimant leur souffrance intérieur n'ont justement pas ou plus besoin d'art-thérapie parce qu'elles ont réussi à tout faire tenir dans l’œuvre et le fait de créer les contient. Par contre pour nous, art-thérapeute, il me semble indispensable de différencier la production issue d'un accompagnement thérapeutique (donc intime à la relation patient/art-thérapeute dans un espace où le patient dévoile quelque chose de lui sans le "contrôler") et l’œuvre produite par le patient à but de reconnaissance. Cette subtilité fondamentale traduit la démarche de soin de l'art-thérapie. Et si en dehors de l'accompagnement la personne s'exprime artistiquement, nous pouvons dire qu'une partie du travail a été réalisée. Rendre de la (re)création à son auteur !
*L'art brut est un terme inventé par le peintre Jean Dubuffet pour désigner les productions de personnes exemptes de culture artistique.