Elle avait sa porte ouverte, allongée, transfusée, elle était crispée. Je vais vers elle, je me penche tout de suite vers elle pour entendre ce qu'elle dit. J'ai du mal à comprendre « je veux voir papa et maman ». Je me dis que je n'ai pas bien compris. Je redouble d'attention tout en lui offrant ma main « je veux mon papa et ma maman » répète-t-elle, angoissée, respiration courte, visage tirée, sanglotant sans larme. Elle s'agrippe avec le peu de force qu'elle a au barreau de protection du lit. Je caresse sa main pour essayer d'apaiser cette tension et rentrer en contact. Je lui dis que j'ai mes oiseaux avec moi, je mets l'enceinte sur son lit. Je lui demande si elle entend, elle me fais signe oui de la tête et elle me regarde. Puis elle me dit toujours aussi faiblement « je veux partir ». Puis elle poursuit « je voudrais dormir mais je n'y arrive pas ». Elle se crispe de nouveau. Alors tout en gardant ma main sur sa peau, je lui propose de trouver une musique douce pour qu'elle puisse essayer de s'endormir. « oui mais pas trop fort ». Je cherche rapidement une musique tout en restant en contact avec elle pour ne pas laisser place à l'angoisse. La musique se met en route. Alors par les notes d'une musique douce, par mes mots pour les appuyer, j'essaye de l'apaiser. « Tu peux te Laisser aller en écoutant ses notes. Je suis à côté de toi. Tu peux détendre tes mains, tes bras, ton corps, ton esprit. Deviens légère comme la musique. Imagine que tu es allongée dans l'herbe sous l'ombre d'un arbre. Ni trop chaud, ni trop froid. Tu es bien. Tu fermes les yeux. Tu peux même t'endormir. » J'alterne silence et phrases susurrées. Elle alterne calme, yeux fermés et des retours d'angoisse « je veux partir ». Après un long moment ensemble. Elle me demande à boire « tout de suite ». Je lui réponds que je vais en informer les infirmières.
Je quitte sa chambre me dirige vers le bureau des infirmières qui sont en débriefing. J'en profite pour leur parler directement de ce que je viens de vivre. Les infirmières confirment les angoisses de madame. Elles ont tenté la musique. Je leur confirme qu'elle a eu des moments de détente grâce à la musique douce. Il faut continuer cela. Entre vouloir partir et s'agripper à son lit, il y a l'angoisse qui est trop présente.
Je me dis que je retournerai la voir après la visite de l'infirmière. J'en profite pour entrer dans une autre chambre où je rencontre une dame prête pour le grand départ « J'en ai raz le bol d'attendre. ». En toute lucidité elle me dit qu'elle attend avec impatience la fin, qu'elle n'a aucun regret sur ce qu'elle a vécu et qu'elle en discute librement avec sa famille. Je lui dis quand même de profiter encore des moments chouettes à vivre ici pour ne pas être que dans l'attente.
Je quitte cette chambre et je me rends de nouveau à la première chambre. Elle a bu. Elle dort. Avec dans son sommeil fragile des soubresauts de mots comme des gémissements que je ne discerne pas tout à fait. Je suppose qu'elle répète les phrases qu'elle m'a dite. Je me retire sans bruit pour ne pas la réveiller totalement.
Dans le couloir, je croise une dame qui me demande « elle dort maintenant ? Elle n'a pas eu peur de vous ? Les clowns l'effrayaient. » Elle me sourit. Je lui souris et je lui explique ce que nous avons vécu. « Vous faites aussi la pédiatrie ? Dans mon service il y avait aussi des clowns qui venaient quand je travaillais là-bas». Je lui explique ce que je fais. « c'est bien ce que vous faites ! » me dit-elle. Je vois qu'elle rejoint trois autres dames dans la salle des familles. J'en profite pour venir les saluer et les soutenir. Je leur demande de leurs nouvelles Elles ont l'air sereine même si elles redoutent le moment de la fin. Je leur parle alors de leur maman. Ce que nous avons vécu ensemble. « n'hésitez pas à la caresser, à lui parler. ». L'une d'elles, commence à avoir des larmes. « Vous pouvez pleurer vous savez, ça peut faire du bien. » « oui je sais. J'ai encore tellement de chose à lui dire » « elle est là, elle est vivante, elle vous entend. Vous voir à quatre c'est déjà un beau cadeau que vous lui faites ». « J'ai une lettre à lui remettre » me dit-elle « de la part de sa nièce. Il faut que je lui lise. » « Mais c'est formidable de dire et transmettre avant le grand départ. N'hésitez pas si vous avez besoin d'aide. Le personnel, moi, je suis là pour vous aider si vous le voulez ». Les trois autres filles acquiescent pour lui dire aussi leur présence. « Oui merci. Quand je serai prête je le ferai. ». « c'est formidable ce que vous faites. » lui dis-je avant de partir. Et pour lui signifier notre présence à tous, je la sers dans mes bras en lui redisant « nous sommes là si il faut ! ». Nous nous saluons avec gratitude.
De retour dans le couloir, je rencontre une épouse avec qui j'avais un peu discuté la semaine dernière « Bonjour, il (son mari) rouspète de plus en plus » me dit elle avec un petit sourire. « Ah. Qu'est ce qu'il aime. » « Il aime manger. J'en profite pour lui amener de la nourriture. Mais même ça cela devient dur. » « Alors savourez avec lui ces petits moments, insistez sur le plaisir que cela peut procurer, dites le plaisir que vous avez de manger avec lui ses friandises. Insistez sur les sensations que cela peut raviver. » « Je vais essayer » me dit-elle en attendant la fin des soins et me sourit avec tendresse.
Voir son mari ou sa maman en fin de vie, plus ou moins dans la durée, c'est une sacré étape pour soi. Parfois nous ne reconnaissons plus la personne avec qui nous avons vécu tant d'année, nous sommes même parfois mis dans un rôle qui n'est pas le nôtre. D'enfant nous nous transformons presque comme parent de sa maman. Est-ce encore mon mari ou ma mère que j'ai en face de moi ? Ce que l'on croyait connu, même depuis l'enfance, devient inconnu et la réalité est subitement pleine de mystère voire d'inquiétante étrangeté . Faire face à l'angoisse de son proche nous angoisse nous même car nous ne savons plus mettre de mots pour prendre du recul. Biloba permet que des mots soient déposés, au-delà des explications. La Neztoile est là pour rappeler que la personne en fin de vie est quelqu'un de toujours vivante en attente de relation. Parlons, caressons, ressentons les émotions jusqu'au moment de la dernière grande aventure humaine. Ouvrons le cœur totalement, c'est l'essentiel qui s'exprime. C'est là certainement notre place à tous !
« Profondément, le mourant attend qu’on ne se soustraie pas à cette relation, à cet engagement réciproque qu’il propose presque secrètement, parfois à son insu, et dont va dépendre le déroulement du travail du trépas. En fait, il s’engage, …, dans une ultime expérience relationnelle. Alors que les liens qui l’attachent aux autres sont sur le point de se défaire absolument, il est paradoxalement soulevé par un mouvement puissant, à certains égards passionnel. Par-là, il surinvestit ses objets d’amour, car ceux-ci sont indispensables à son dernier effort pour assimiler tout ce qui n’a pu l’être jusque-là dans sa vie pulsionnelle, comme s’il tentait de se mettre complètement au monde avant de disparaître. »
De l’art à la mort. Itinéraire psychanalytique, le travail du trépas, Michel de M’Uzan