Aujourd'hui Biloba a fait un grand voyage et a mis les voiles. C'est la troisième rencontre avec Henri en gérontologie. Quand je le rencontre en fin de journée après son passage chez le kiné, sa chambre est déjà en pénombre. Le lien thérapeutique entre nous est déjà bien établi. J'entre, je prends de ses nouvelles. Henri trouve le temps long et son passage à l'hôpital s'attarde. En fait il ne voit pas encore le bout de sa rééducation, sa marche est encore très réduite. Ceci fait que le moral n'est pas toujours au beau fixe et il me le fait savoir « c'est pas ça tous les jours ». Alors je lui demande comment il arrive à surmonter sa baisse de moral « je respire et je pense aux bons moments vécus ». henry retient mes visites. Puis en me vouvoyant toujours il complète en me disant « Mais vous savez ce n'est pas facile d'enlever de sa tête mon accident ». Henri s'est fait renversé par une voiture mais il ne m'avait pas encore exprimé ce poids dans son psychisme. J'essaye de saisir cette nouvelle information. Je lui dis que cela ne doit pas engloutir toute sa pensée. Alors je lui propose de me donner un lieu où il se sent bien. Je sentais qu'il fallait alléger son esprit et c'est ce que me propose Henri. En effet, Henri choisit le beau Belem, ce voilier d'un autre temps qui continue à former. « Tu as déjà été dessus ? » « Non je fais des maquettes et c'est ma préférée ! » Alors je lui propose de monter pour de vrai dedans, naviguons dans le Belem. « On va où ? ». Il me répond « A Buenos Aires », je ne sais pas pourquoi puisqu'il n'a là aussi jamais été. Nous mettons les voiles, nous avons l'aide de petits mousses pour nous aider, nous profitons du vent léger pour prendre le large. Et nous entendons les vagues que j'avais mis en fond sonore. Je m'agite un peu sur le pont pour jouer le jeu. J'active les petits mousses. Les voiles sont gonflées par le vent. « Tu sens l'odeur de l'océan ! On profite des beaux rayons de soleil, écoute le doux son des vagues. On savoure ce moment ». Henri rentre dans le jeu en restant très posé. Il sourit, regarde, s'en amuse. Je poursuis en criant « terre, jetez les amarres » car nous arrivons à Buenos Aires. A ce moment je mets une rumba et me mets à danser. Henri écoute attentivement. Il prend plaisir, son visage devenant plus lumineux. Puis je lui dis que l'heure du retour a sonné. Nous reprenons les voiles et mettons cap à Mâcon. « Quel beau voyage nous avons vécu Henri, merci à toi. N'hésite pas à reprendre le Belem quand tu as besoin de respirer à plein poumon. » Henri me répond en me tutoyant « Tu reviens la semaine prochaine ». Et je quitte la chambre en dansant.
Prendre le large quelques instants pour mieux se retrouver, c'est comme une bouffée d'oxygène qui ouvre vers d'autres horizons. Cela ne vient pas tout seul, cela peut prendre du temps mais on en revient jamais totalement le même. Viva Le Belem !