Après déjà quelques rencontres je me retrouve devant la chambre 2XX. Je frappe à la porte, elle est assise sur son fauteuil roulant prés de son lit, la télévision allumée. Nous nous étions déjà rencontré une fois alors qu'elle était allongée sur son lit. Me permettant d'entrée, je lui fais aussitôt remarqué sa nouvelle position. « Oui j'ai quelques progrès, bon à 88 ans on ne sait pas ce que la suite va donner ». Elle avait un visage un peu fermé. Je sens une petite angoisse du retour à la maison sans pouvoir être totalement autonome. Je m'agenouille à côté d'elle, je ne sais pas pourquoi je ne sollicite pas de chaise même si elle m'en propose une. Alors la discussion commence. Elle éteint la télévision. Elle aime discuter. Elle aime écouter ce que je lui dis. Tout en réfléchissant ensemble, son visage s'ouvre. Elle me vouvoie, je la tutoie sans que cela ne gêne. Je cherche à faire jaillir sa lumière intérieure. « je ne veux pas de flatterie » me dit-elle en me demandant si ce qu'elle dit est valable. Tout passe d'abord par l'intellectuel, je sens que l'expression d'émotion ne paraît pas être une évidence pour elle. Il faut que cela passe par le mot. Banco, parlons ! Je valorise ses réflexions sur comment elle essaye de « faire avec », faire avec la diminution de son corps, faire avec les absences, faire avec même si cela n'est pas toujours facile. « Je pense que pour y arriver il faut bien s'organiser » me dit-elle en me racontant le décès de son mari et la perte de sa mobilité. J'essaye de la renvoyer vers son intériorité. Je complète donc en disant : « Une bonne organisation mais aussi un chemin en soi ». Alors je lui dis que quand même comme je suis l'assistant très spécial du docteur je peux prescrire des ordonnances. Je lui dis par exemple que pour surmonter ses inquiétudes il est bon aussi de profiter des instants de joie de tous les jours. « Par exemple, tu vois quand tu reçois un appel, ou que tu écoutes ta musique préférée, alors compte jusqu'à 3 et dis toi 'je profite'. Tu peux même te le dire à voix haute, c'est pas grave si d'autres t'entendent ». Elle rit. Et j'illustre mon propos en fermant les yeux et en lui disant que là moi je profite de notre belle rencontre. Elle sourit. Son visage est plein de lumière. « Tu vois, tu cherchais à définir mon rôle, et bien c'est peut-être ça mon rôle, trouver la petite lumière en chacun » « Oh vous savez ma lumière est loin » « hum je ne crois pas, regarde, tu souris, tu es lumineuse ! ». Et nous nous mettons à parler de cette lumière. Et puis à un moment donné, elle se met à dire que des fois elle ne peut pas, elle ne se donne pas le droit de dire ses émotions « parce que d'autres souffrent ». Et soudainement, elle se laisse aller et elle me parle des soucis de membres de sa famille. « je n'ai jamais raconté tout ça à personne, vous comprenez vous pourquoi je vous dis ça alors qu'on ne se connaît que depuis deux rencontres » « Peut-être parce que tu en avais besoin ». Des larmes apparaissent. « J’accueille tes larmes, ne t’inquiète pas. Ça peut faire du bien de pleurer.» Elle ne lâche pas totalement, ne se laisse pas envahir mais elle vit une émotion. Par rapport à ce qu'elle m'expose nous poursuivons la réflexion. « Je suis inquiète pour eux mais je ne peux rien faire ». « ce que tu peux faire c'est de toujours veiller à ta propre lumière, comme ton sourire, c'est de cela qu'ils ont besoin ». Alors avant de partir je lui prends ses deux mains, je ferme les yeux et je lui dis « 1,2,3 je profite de cette belle rencontre » et en écho j'entends « je profite de cette belle rencontre ». « Je vais réfléchir à tout ce qu'on s'est dit et je vous direz si pleurer finalement ça peut faire du bien ». Elle continue de sourire. Je pars tout empli de cette fabuleuse rencontre.
C'est un long chemin parfois de s'écouter, de s'autoriser, de dire ses émotions mais il n'est jamais trop tard. L'émotion nous renvoie vers ce qui nous touche du plus profond de notre être. Avec Biloba le patient peut se confier. Pourquoi ? Parce qu'il est là en présence et en même temps un peu hors du temps. Mais la magie, c'est le patient seul qui en détient toujours la formule !
21/11/2018