Sa porte est entrouverte, je la vois avant qu'elle ne me voit. L'équipe de soin vient de passer. Immobile, la tête un peu penché, perfusée, un bras sous le drap, je sens un corps figé, un visage figé, des yeux dans le vague. J'entre, ses yeux se tournent vers moi. Le contact se fait aussitôt. Elle m'autorise à me rapprocher. Elle chuchote et je dois déchiffrer ce qu'elle me dit. « vous êtes beau » me dit-elle en posant ses yeux sur mon manteau à hibou. Je la remercie. Je lui réponds qu'elle aussi est belle. Tout de suite elle me met dans son humeur « vous savez je vais mourir ». Elle me donne l'impression d'une personne d'une grande intelligence, maîtrisant ce qui lui arrive. Aimant parler du beau, je lui fait un inventaire de mes habits, de mon chapeau, de la lumière dans mon sac. Elle sourit légèrement. Malheureusement ses mots deviennent de plus en plus faibles et incompréhensibles à mes oreilles. Je comprends juste qu'elle a aussi du mal a entendre. Alors comme je lui parlais de ma musique, je rapproche la petite enceinte vers son oreille droite. Le musique des oiseaux, puis le piano, puis de la rumba. « c'est beau ». Je ne comprends plus ses mots et je m'en veux un peu. J'ai l'impression qu'elle veut que j'écrive quelque chose mais je ne sais pas quoi. Je sors un confetti cœur que je lui montre, et je le pose sur son lit. Je me dis que si les mots ne passent plus, il me reste le regard, un peu le son et le toucher. Alors nous écoutons la musique, nous nous regardons, et je me mets, je ne sais pas pourquoi (mais certainement son regard me parlait), à lui caresser lentement son visage, caresser son front, ses cheveux. Elle me sourit. Biloba ose caresser quelqu'un que je ne connaissais pas avant. Et je vois que ce geste lui fait du bien, que son visage se relâche, qu'elle me sourit, alors je continue. Elle se laisse porter par la douceur. Quelle beauté effectivement !
Après ce long moment, je sens que je peux la laisser. C'est le moment de partir. Elle me murmure « à bientôt », je fais signe de la tête. Je la regarde, lui fais signe. Et me retrouve dans le couloir.
J'ai besoin de noter immédiatement sur le cahier de transmission que Madame de la chambre X aime beaucoup les caresses ! Est-ce un geste impudique de caresser le visage d'une patiente ? Pour Biloba certainement pas. Contenant, sécurisant, ce geste lui donne de la vie, la beauté et douceur de la vie au-delà des mots, au-delà des souffrances et questionnements. Il permet de la réconforter dans son identité psychique et corporelle. Elle est là présente dans ce corps qui n'est pas que souffrance ou angoisse. Le toucher relationnel offre une rencontre authentique entre Biloba et le patient.
« L’essentiel n’est pas ce que l’on fait de l’homme, mais ce qu’il fait lui-même à partir de ce qu’on lui a donné » Jean-Paul Sartre
Mercredi 17 octobre 2018